Madame G. est une vieille femme solitaire dont les enfants habitent à l’autre bout de la France. Ce sont eux qui m’ont contactée pour que je fasse le récit de sa vie. Mais ils m’ont prévenue :
– Elle a ses têtes et elle n’est pas toujours commode…
Cela ne m’effraie pas : j’aime les gens qui ont du caractère. C’est donc pleine d’entrain que je frappe à la porte. Une bonne minute s’écoule sans que rien ne se passe. Indécise, je vérifie ma montre : je suis bien à l’heure. Madame G. aurait-elle oublié notre rendez-vous ? Aurait-elle un problème ? Je frappe plus fort.
Cette fois, quelques secondes à peine s’écoulent avant qu’une voix peu amène retentisse.
– Ça va, ça va, j’arrive…
Une toute petite femme me fait face. Ses cheveux noir corbeau ramenés en un chignon serré, les mains sur les hanches, elle me fixe, les sourcils froncés.
– C’est vous, la biographe ?
– Oui, Madame.
Puis, comme rien ne se passe :
– Vous me laissez entrer ?
Madame G. grommelle quelque chose d’incompréhensible, mais s’efface pour me laisser passer. J’entre dans une vieille cuisine, sombre mais propre. Sur la table, une théière et deux tasses sont disposées. Intérieurement, je souris : je sais que je vais être bien reçue.
En effet, derrière sa façade bourrue, Madame G. s’avère être une conteuse prolixe et pleine d’humour. À plusieurs reprises, au récit des tours pendables que ses frères et elle jouaient à leurs voisins, elle se laisse même aller à des fous-rires qui me laissent entrevoir la petite fille qu’elle a été.
Lorsque je me prépare à la quitter, elle devient tout à coup très sérieuse.
– Ça m’a fait du bien de vous voir. Vous savez, sinon, plus personne ne m’écoute… Vous reviendrez, n’est-ce pas ?
Et comment !