Archives de catégorie : Tranches de vie

Le temps du souvenir

Coffre

Replonger dans son enfance peut être douloureux. Trop douloureux pour qu’on ait envie de le faire. Pour certains, c’est comme si cette période de leur vie n’avait jamais existé ; elle demeure enfouie, comme sous un couvercle de plomb, enfermée dans le plus étanche des coffres-forts : le cerveau.

L’âge aidant, les choses évoluent pourtant. Untel qui refusait obstinément d’évoquer le moindre souvenir d’enfance se laisse soudain aller à raconter. Par bribes. Comme subrepticement. Le plus naturellement du monde.

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L’urgence d’écrire

Une femme encore jeune – la cinquantaine – me sollicite pour mettre en forme le résultat de vingt années de recherche en généalogie. Elle a recensé plus de cinq mille individus, tous reliés à elle, d’une façon ou d’une autre. Et des anecdotes comme s’il en pleuvait…

C’est le livre de toute une famille que nous allons rédiger ensemble.

— Ça fait longtemps que j’y pense, parce que j’ai mon arbre d’un côté et les anecdotes de l’autre ; il n’y a que moi qui puisse m’y retrouver. Et comme j’ai été diagnostiquée Alzheimer… Je sens bien que j’oublie, que je perds les choses…

Écrire avant que tout ne soit oublié. Perdu dans les tréfonds d’une mémoire qui s’étiole.

Pour elle comme pour ses proches, il y a urgence.

11 novembre 2009

Poilu

S’il n’y a plus aujourd’hui un seul survivant français de la grande guerre, celle-ci vit encore dans bien des mémoires. Les récits qu’on me confie le prouvent à chaque instant.

Les pères, les oncles, les grands-pères parfois, ont vécu l’enfer des tranchées, ont échangé avec leur famille des centaines de lettres et de cartes postales relatant les petits faits de la vie quotidienne, les blessures et les espoirs. Des mots qui nous parlent à tous. Des mots qui font revivre l’émotion, la tristesse et la peur.

Des mots que nous écrivons ensemble.

De la tendresse

L’écrivain public – biographe écrit. Évidemment ! Quel intérêt, me direz-vous, de rédiger une telle banalité ? Mais avant d’écrire, il – ou elle – passe d’abord beaucoup de temps à écouter.

Qu’il s’agisse d’un simple courrier administratif, d’une lettre de motivation ou du récit d’une vie, avant d’accoucher du moindre mot, il convient de comprendre de quoi il s’agit, de savoir de qui on parle et pourquoi on le fait. Alors, écouter, bien sûr, mais aussi susciter la parole. Aider la personne qui me demande d’écrire pour elle à exprimer ses idées, ses émotions, ses désirs, ses convictions, ses rêves…

Cela ne peut pas se faire dans la précipitation. Il est primordial de prendre son temps. De laisser faire les silences. D’accueillir celui – ou celle – qui se livre.

D’éprouver à son égard de la tendresse.

Une jeunesse en noir

Née entre les deux guerres, elle a porté le deuil pour la première fois à dix-sept ans.

D’abord trois mois de grand deuil. Habillée exclusivement de noir, bas et chapeau à voile de crêpe compris. Aucune autorisation de sortie, exceptée la messe du dimanche. Une espèce d’emprisonnement encore plus lourd à porter que le chagrin de la disparition d’un frère…

Trois mois de deuil avaient suivi. Le voile de crêpe avait raccourci. Les bas noirs n’étaient plus indispensables. D’autres teintes de vêtements étaient autorisées, encore très foncées : bleu marine, marron. Les sorties – en journée exclusivement – redevenaient possibles.

Encore six mois de demi-deuil avant de reprendre une vie normale. Une éternité pour une jeune fille qui aurait bien voulu avoir le droit de s’amuser.

— Quand je pense à tout ce temps passé en noir alors que je rêvais de couleurs et que je vois toutes ces jeunes filles, aujourd’hui, qui ne jurent que par le noir…