Archives de catégorie : Écrits personnels

La fille du Trauco (3)

Fragments de SudLe début de cette histoire se trouve ici. La fille du Trauco est l’une des onze nouvelles qui composent Fragments de Sud.

Trois mois ont passé depuis que Don Oscar a fait irruption sous le porche de la poste un jour de pluie. Chaque fois qu’elle passe à cet endroit – autrement dit : chaque jour, en revenant de la plage – Rosa Maria sent une drôle de crispation au creux de son ventre. Une attente, un espoir. Son cœur bat plus vite. Sa respiration s’accélère. Ses yeux ne peuvent pas s’empêcher de se poser – une fraction de seconde – sur la porte qui, un jour, s’est ouverte.
Mais chaque jour, l’espoir est déçu : la porte de la poste reste fermée.
Au début, Rosa Maria était simplement heureuse. Heureuse de savoir que, malgré les apparences, elle n’était pas complètement seule sur terre. Que quelqu’un, quelque part, savait qui elle était et s’intéressait à elle. Mais au fil des jours, une question est apparue et ne l’a plus quittée, lancinante : qui ? Continuer la lecture de La fille du Trauco (3)

La fille du Trauco (2)

Fragments de SudLe début de cette histoire se trouve ici. La fille du Trauco est l’une des onze nouvelles qui composent Fragments de Sud.

— C’est bien le moment de repenser à tout ça…
Sans s’en rendre compte, elle a parlé tout haut. De toute façon, qui pourrait l’entendre ? Personne ne met le nez dehors par un temps pareil ! D’ailleurs, il faudrait bien qu’elle songe à rentrer : la pluie a complètement transpercé ses vêtements.
Tournant le dos à la mer, à la Pincoya, au Trauco et à tous ses souvenirs d’enfance, Rosa Maria retraverse le village. La rue est toujours déserte et elle avance d’un pas pressé lorsqu’une voix l’interpelle.
— Rosa Maria !
Interloquée, la jeune fille se fige. Quelqu’un l’appelle ! Aussi loin qu’elle se souvienne, cela n’est jamais arrivé… Continuer la lecture de La fille du Trauco (2)

La fille du Trauco (1)

Fragments de Sud

C’est l’une des onze nouvelles qui composent Fragments de Sud. Je l’ai découpée en trois parties pour que vous puissiez mieux la déguster. Bonne lecture !


Il pleut sur Chiloé, la grande île du Sud chilien. Quoi de plus normal ? Ici, on a l’impression qu’il pleut toujours… De grosses gouttes qui frappent les maisons de bois sans discontinuer, du matin au soir, sous un ciel gris qui pèse sur le village comme un couvercle. Dans un tel environnement, on se sent comme emprisonné derrière des barreaux liquides. L’humidité s’incruste partout : dans les maisons, dans le corps, dans le cerveau. On en perd jusqu’au souvenir du soleil. Jusqu’à l’envie de sourire.
Rosa Maria se surprend à courber l’échine lorsqu’elle sort de chez elle pour se rendre au port. Comme si une main invisible la forçait à se plier en deux. Pourtant, elle avance. Sans réfléchir. La tête couverte d’un foulard, de lourdes bottes aux pieds, elle arpente la rue déserte. La pluie lui cingle le visage, ses traînées lézardent le paysage qui semble parfois disparaître derrière un rideau opaque. La Pointe de la Madone n’est même plus visible.
Fichue pluie… Continuer la lecture de La fille du Trauco (1)

Deux jours

Ciel d'orage
Deux jours dans les nuages.
La tête à l’envers
Comme le ciel pendant l’orage :
Fracas de lumières
En position essorage.

Deux jours les idées floues.
Nue et tremblante
Sur le sol, à genoux.
Comme l’étoile filante
Agonisant tout à coup…

Deux jours à vivre à demi.
Mi-figue, mi-raisin,
Le jour poursuit la nuit.
Glauque au petit matin
Étouffé par le bruit.

Deux jours et c’est long !
D’être là sans y être.
Les mains au front,
L’œil vague à la fenêtre,
Et le cœur qui dit non…

BALADEUR

Pierrot

Bienheureux le poète qui sait voir au travers de la nuit,
Armé de ses seuls doigts fiévreux entourant la plume.
Luciole affolée qui tournoie dans les ombres du temps
Avec la joie de l’enfance et les tourments du plaisir…
Doué d’une intelligence qui le pousse sans arrêt à partir,
En voguant sur les flots enivrants de l’ailleurs et du vent,
Un jour sans doute, il s’évanouira dans la brume.
Riant à larmes folles des heures qui s’enfuient.