L’homme qui me fait face est un peu plus âgé que moi. Autour de la cinquantaine. Nous nous sommes déjà parlé par téléphone plusieurs fois, mais là, il a tenu à me rencontrer. Pour parler de son père.
– Je ne sais rien de lui avant qu’il ait épousé ma mère. Enfin, presque rien… Et le peu que je sais, c’est par son intermédiaire à elle que je l’ai appris.
Très tôt, enfant, il a compris qu’il y avait des questions qu’il ne fallait pas poser. Des sujets dont il ne fallait pas parler. Qui étaient bel et bien tabous, même si le concept de sujet tabou paraissait étranger à sa famille.
Alors, il a grandi avec. Ou plutôt sans.
Sans savoir comment cet homme qui était son père avait grandi. Sans jamais pouvoir s’identifier à lui au même âge puisqu’à cet âge-là il n’existait pas encore : il avait émergé de nulle part le jour où son chemin avait croisé celui de sa mère.
– Ces dernières années, il s’est de temps en temps laissé aller à évoquer des choses. Des souvenirs. Des bribes… J’avais repris espoir. Je me disais qu’il finirait par dire qui il était.
C’est alors qu’il m’a contactée la première fois. Persuadé que si, par le plus grand des bonheurs, son père acceptait de se livrer, ce ne serait qu’à une tierce personne. Quelqu’un qui n’aurait aucun lien particulier avec lui.
L’habitude du silence ne se perd pas si facilement entre deux êtres !
– Quand je lui ai dit que je vous avais contactée et que je lui ai proposé de vous rencontrer, je l’ai vu se refermer. C’est difficile à expliquer… Mais c’était comme si un mur transparent s’était élevé entre nous deux. J’ai senti que je ne pourrais plus l’atteindre. Qu’il ne voulait rien dire et que cette fois c’était définitif. Je n’ai jamais rien su de lui et je ne saurai jamais. Jamais !
La souffrance fait briller ses yeux et je vois tout l’effort qu’il fournit pour tenter de faire avec. Ou plutôt de faire sans. Comme toujours.
Je ne dis rien. Parce qu’il n’y a rien à dire. Je me contente de poser ma main sur la sienne en le regardant au fond des yeux.
J’y vois l’enfant apeuré qui se demande de quel univers d’apocalypse son père a bien pu s’extraire pour qu’il refuse aussi obstinément de l’évoquer et l’espace d’un instant j’en veux à ce père qui a choisi de priver son fils d’une histoire sur laquelle s’appuyer.
Parce que l’homme que j’ai en face de moi n’en guérira jamais. Parce qu’à défaut de connaître le réel, il ne cessera jamais d’imaginer le pire.
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Bravo Florence pour votre empathie !
La nature humaine est parfois très compliquée…
Nous faisons un métier difficile mais ô combien riche et porteur d’espoir.
Bonne continuation…
Angélique
Bonjour Angélique,
Merci pour votre commentaire. C’est en effet un métier qui nous en apprend beaucoup sur la nature humaine et nous confronte à toutes sortes de situations. C’est sans doute pour cela que nous l’aimons tant 🙂
Florence
Magnifique texte Florence, comme d’habitude. 😉
PS : Le recueil s’agrandit…
Jean-Philippe Articles récents..Aujourd’hui, je vous insulte (mais c’est pour votre bien)
Bonjour Jean-Philippe,
Merci 🙂 Il y avait trop longtemps que je n’avais pas publié ce genre d’article ; je savais que tu réagirais 😉
Et puis, ça me manquait…
Florence