Il a quatre-vingt-onze ans et nous nous voyons sans doute pour la dernière fois. Nous avons parcouru ensemble les chemins de sa mémoire, depuis sa naissance jusqu’à aujourd’hui. Reste à évoquer l’avenir.
– Continuer à vieillir, à quoi bon ? Pour voir mourir tout le monde autour de moi ?
Il énumère alors tous ceux qu’il a accompagnés vers leur dernière demeure : un fils, sa femme, un neveu, des cousins, des voisins… De sa génération, il ne reste personne. De bien plus jeunes que lui ont été fauchés par la maladie et il en perçoit toute l’injustice.
– Rendez-vous compte que cela fait trente ans que je suis à la retraite ! Alors qu’il y en a tant, autour de moi, qui meurent avant d’en avoir vraiment profité, voire même avant d’avoir pu y goûter… C’est indécent.
Pour autant, il n’envisage pas de mettre fin à ses jours. Ce serait une lâcheté et tout son parcours montre que rien ne lui est plus étranger. Et puis, il y a les enfants, les petits-enfants…
– Ils ne comprendraient pas que je les abandonne.
Il veut surtout leur éviter tout sentiment de culpabilité : ils pourraient s’imaginer qu’ils ont raté quelque chose, qu’ils ne l’ont pas assez entouré… alors qu’il est juste fatigué.
La solitude lui pèse. Elle prend le dessus et c’est dur. Pourtant, tant qu’il peut se suffire à lui-même, il tient à rester dans sa petite maison. Celle qu’il a achetée, jeune marié, qu’il a aménagée à sa façon et dans laquelle il a vu grandir ses enfants, vieillir sa femme.
– La vie est une belle aventure, mais je crois que j’en ai fait le tour et qu’il est temps que je laisse ma place à d’autres. Comment expliquer cela à mes proches ?
Avec un sourire plein de douceur, il conclut :
– Vous êtes la première personne à me laisser dire tout cela. À accepter de l’entendre.
Et je sais que cela a suffi à alléger son fardeau.
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Joli ! Comme d’habitude. 🙂
Jean-Philippe Touzeau Articles récents..Les femmes sans peur : Caroline Aubert
Merci, Jean-Philippe. Fidèle au poste… comme d’habitude 😉
Florence
Bonjour,
très joli ! Cela m’a rappelé maman qui a presque 93 ans était elle aussi lasse de la vie.
Bonjour Marie,
Je crois que c’est souvent le cas… Mais autant on le comprend et l’accepte facilement de la part d’inconnus, autant il peut être difficile de l’entendre dans la bouche des gens qui nous sont proches. Ce qui, au fond, est très égoïste ! Même si c’est difficile, parler sereinement de la mort de nos proches avec eux est toujours bénéfique pour tout le monde. Encore faut-il avoir l’opportunité de le faire : lorsqu’ils meurent de façon inattendue, ce n’est malheureusement pas possible.
Florence