Comme souvent à cette époque (c’était pendant la Seconde guerre mondiale) elle a commencé l’école à cinq ans. Et tout de suite, elle a été pensionnaire.

La ferme dans laquelle elle habitait avec toute sa famille (parents, frères, sœurs, grands-parents, tantes) était en effet trop éloignée du bourg pour qu’elle puisse faire le trajet à pied tous les jours.

D’abord, elle me raconte longuement les conditions de vie au pensionnat, chez les sœurs. Le grand dortoir dans lequel toutes les filles étaient réunies, le lavabo duquel ne coulait qu’un mince filet d’eau froide, les provisions que la famille devait fournir et qui avaient une fâcheuse tendance à disparaître du casier dans lequel elles étaient stockées…

Conditions rudes, austères, mais normales à cette époque-là. Elles ne les évoque d’ailleurs pas sans un certain humour !

Du contenu de l’enseignement, par contre, elle ne me dit rien. Je la questionne, mais elle m’avoue n’avoir gardé aucun souvenir de ce qu’elle a pu apprendre pendant cette première année d’école.

– Tout ce dont je me souviens, c’est la cour et nos jeux pendant la récréation. Ma tante m’avait fait une robe en crochet, toute dentelée en bas. Quand je m’amusais à tourner, elle volait tout autour de moi. Ça me plaisait beaucoup, alors je le faisais souvent !

Elle a soixante-quatorze ans. Pourtant, lorsqu’elle se lève de sa chaise pour me mimer la façon dont cette robe voletait autour d’elle soixante-neuf ans plus tôt, j’ai l’impression de voir une petite fille.

Une petite fille souriante, les yeux rieurs, qui tourne à s’en donner le vertige. La petite fille qu’elle était alors, pendant ces années de guerre, pensionnaire chez les sœurs à quelques kilomètres à peine de chez elle.

C’est un instant magique, que je n’ose pas interrompre et qui habitera longtemps ma mémoire.

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