Madame D. a été marquée par une enfance difficile. Douloureuse, même. Arrachée à des parents aimants (mais pauvres) pour être placée dans une famille d’accueil qui se garantissait ainsi une main d’œuvre bon marché et corvéable à merci pour les travaux des champs, elle garde de cet épisode une méfiance absolue à l’égard de toutes les administrations.
Discrète jusqu’à l’effacement, elle n’aime pas non plus parler d’elle. Alors raconter sa vie à une inconnue…
Sa fille a pourtant réussi à la décider. En invoquant le devoir de mémoire (« Il ne faut pas oublier que ce genre de chose a été possible ! ») et en faisant intervenir sa propre fille.
– Mamie, quand tu avais mon âge, qu’est-ce que tu faisais à l’école ? À quoi tu jouais ? Je voudrais bien que tu me racontes…
Pas si facile lorsqu’on passé sa vie à se taire. Mais que ne ferait-on pas pour ses petits-enfants ? Pour finir de convaincre sa mère, la fille de Madame D. a pensé à des entretiens téléphoniques.
– Ce sera plus facile. Tu ne verras pas la personne. Elle ne saura même pas où tu habites.
L’argument avait porté. Plus qu’à tout autre chose, Madame D. tient à sa tranquillité et à ne pas se faire remarquer. Par téléphone, non seulement la biographe ne la verrait pas, mais en plus, personne ne serait au courant de rien puisqu’elle ne recevrait pas de visites.
Il avait donc été convenu avec la fille de Madame D. que je ne rencontrerais jamais ma cliente. Cela me peinait (j’aime le contact direct avec les gens et mon écriture se nourrit beaucoup de l’atmosphère de leur logement) mais je finis par m’y habituer… et à apprécier malgré tout ces rendez-vous !
Jusqu’à ce fameux jour où je sentis Madame D. quelque peu hésitante au bout du fil.
– La prochaine fois, finit-elle par se lancer, pourquoi ne viendriez-vous pas à la maison ? Ce serait quand même plus agréable de vous parler directement plutôt qu’à travers le téléphone !
Qu’auriez-vous répondu à ma place ? 🙂
Waou, très proche d’une partie de notre histoire, et en plus Madame D !!!
Oui c’est en effet un métier passionnant, et il faut non seulement bien écrire pour bien dire, mais en plus savoir lire entre les mots, les non-dits de ceux qui veulent bien se raconter, un peu ou beaucoup 😉
J’espère sincèrement qu’un jour nous pourrons bénéficier de votre talent, votre écoute aussi pour garder un souvenir de l’histoire de notre famille.
Bonjour,
J’espère aussi pour vous que ce travail pourra être mené, avec moi ou avec quelqu’un d’autre : c’est un héritage tellement important !
Bon courage pour la fin mai 😉
Florence
Bonsoir Florence,
Moi aussi, j’ai testé les entretiens téléphoniques où cours desquels il est plus facile de récupérer la parole de témoins éloignés géographiquement et mis en confiance par l’absence de contact direct… Indéniablement, c’est plus facile pour des personnes particulièrement timides, mais gagner la confiance lorsqu’on ne se voit pas est plus long… et l’entretien d’une heure devient un entretien de deux heures et plus pour parvenir à toucher au sensible de leur histoire personnelle, pour avoir une parole sincère et libérée. Pour ma part, j’aime bien ce contact anonyme sans l’être vraiment (l’intonation de la voix, les silences, parfois aussi les pleurs véhiculent aussi beaucoup du ressenti de la personne). J’ai aussi l’impression, du point de vue de ma posture professionnelle, de m’autoriser des questionnements plus intimes au téléphone que si j’étais en face-à-face. Ma seule (et grande) frustration est de n’avoir pu, par la suite, rencontrer ces témoins de visu de façon à faire encore mieux connaissance !
Bonsoir Patricia,
Je te rejoins tout à fait sur la frustration ressentie lorsqu’on ne rencontre jamais réellement les gens. C’est ce qui fait tout le poids et l’intérêt de cette tranche de vie avec Madame D. : le fait que nous ayons pu vraiment nous rencontrer !
Toutes les personnes ne réagissent pas de cette façon. J’ai d’autant plus apprécié ce cadeau 🙂
Florence