Aujourd’hui, Monsieur C. m’accueille avec gravité. Ce n’est pourtant pas dans ses habitudes : il a pour principe, selon ses propres termes, de « prendre les choses par leur bon côté ».
— Je vous avais dit que je vous parlerais un jour de ma grand-mère. Ce jour est venu.
Je comprends qu’une longue préparation a été nécessaire. Le silence qui s’installe entre nous en participe encore : il y a des fantômes qui ne peuvent ressurgir qu’à petits pas.
Enfin, Monsieur C. se lance. Calmement, sans aucune animosité, il me raconte.
Il dit la colère de sa grand-mère, contre sa propre fille qui avait « fauté » comme on disait à l’époque, et contre l’enfant qu’il était, preuve vivante et rappel quotidien de cette faute. Il dit ensuite le chagrin transformé en rancune par la disparition précoce de cette fille. Et la haine contre l’enfant. La cruauté ordinaire.
— Dans son esprit, c’est moi qui aurais dû mourir. Pas ma mère. Elle me l’a dit bien des fois.
Dans les yeux du vieil homme, les larmes de l’enfant mal-aimé se mettent à briller.
— Elle ne m’a jamais frappé, mais parfois j’aurais préféré. Les coups, on peut les parer ; les mots, eux, ils s’incrustent.
Lorsque je le quitte, deux heures plus tard, Monsieur C. a retrouvé son sourire.
— Je n’avais jamais parlé de tout ça avant. Je crois que j’aurais dû : ça m’a fait du bien. Mais une grand-mère, dans l’esprit des gens, c’est toujours quelqu’un de doux et d’aimant. Ce n’est pas facile d’aller à contre-courant.
Quoi de plus normal, pourtant ? Les grands-mères sont comme tout le monde : aussi variées qu’uniques.