Cette histoire a commencé là : http://www.amotsdelies.com/blog/2012/12/les-15-derniers-jours-1/
Ambroise est apparu de nulle part, comme il sait si bien le faire, et il se dirige droit vers la tribune. Sans façon, Manue s’écarte pour lui laisser la place devant le micro. Une nouvelle voix, chaude et vibrante, s’élève.
« Êtes-vous prêts ? »
Le silence qui suit ces quelques mots, doux et oppressant à la fois, n’a rien d’ordinaire. Ne serait-ce que par son existence elle-même : quelques secondes à peine auparavant, dans le brouhaha indescriptible qui régnait dans l’amphi, personne n’aurait pu parier qu’une telle absence de son soit possible.
« Êtes-vous prêts ? » redemande Ambroise.
Cette fois, quelques voix s’élèvent timidement pour répondre par l’affirmative et un sourire radieux coupe le visage noir en deux.
« Je ne vous entends pas ! s’exclame-t-il. Dîtes-moi : êtes-vous prêts ? »
Dans la clameur qui emplit le bâtiment, Éloïse a du mal à reconnaître sa propre voix. Pourtant, elle en est sûre (elle l’a senti dans sa gorge) : elle a répondu. Comme des centaines (peut-être même des milliers) d’autres personnes, elle a dit « oui ».
Et elle sait.
Mais les autres savent-ils ?
Pour eux, pour tous ces inconnus qui se sont entassés devant elle, Ambroise est-il autre chose qu’un simple chauffeur de salle ?
Jérémy se penche tout à coup vers elle.
« Il est spécial, cet Ambroise, non ?
— Très spécial, approuve-t-elle en opinant du chef. »
Éloïse hésite un peu, puis elle se lance.
« Il t’a parlé de Primaterra ?
— Qui ça ? interroge le jeune homme en se penchant un peu plus vers elle.
— Rien, laisse tomber…
— Mais je n’ai pas entendu ce que tu as dit ! De qui est-ce qu’Ambroise aurait dû me parler ?
— De Primaterra. »
Les mots suivants (« la mère de toutes les Terres ») refusent de passer la barrière de ses lèvres. Jérémy n’est pas comme d’habitude, d’accord, mais même pour ce Jérémy-là, il y a des choses qui doivent rester insupportables.
Le bref hochement de tête de son interlocuteur laisse Éloïse indécise. A-t-il vraiment voulu répondre par l’affirmative ? A-t-il seulement bien entendu ce qu’elle a dit ? Dans le tumulte qui a fait suite à la question d’Ambroise, rien n’est moins sûr.
Bientôt, Jérémy ajoute à sa perplexité.
« Alors, tu es prête ? demande-t-il. Tu es sûre ?
— Je crois, oui. Et toi ?
— Je crois aussi. Mais on sera bientôt fixés, non ?
— En effet… »
À côté d’eux, Ambroise a repris la parole. Cette fois, son ton est grave.
« La fin du monde, quel que soit le monde en question, ce n’est pas rien. Mais les messagers vous le disent depuis le début : la fin de ce monde va entraîner le début d’un autre. Savez-vous lequel ? »
Un murmure d’attente et de négation remplit l’amphi. Mais cette fois, Ambroise ne pousse pas ses vis-à-vis à répondre.
« Non, vous ne savez pas. Et c’est normal ! Car ce monde est inconnu. Il va falloir le découvrir au fur et à mesure. L’inventer. Le rêver… »
Le jeune homme laisse à la foule le temps d’assimiler ce qu’il vient de dire. Puis il approche ses lèvres du micro et se met presque à chuchoter.
« Fermez les yeux ; nous allons le rêver ensemble… »
Des ricanements à peine couverts s’élèvent dans l’amphi. Certains, parmi les présents, haussent les épaules ou lèvent les yeux au ciel.
« Ça devient du grand n’importe quoi ! » s’offusque une fille au premier rang.
Éloïse n’hésite pas une seconde : elle ferme les yeux.
Aussitôt, le silence se fait à l’intérieur d’elle-même et une lumière douce irradie derrière ses paupières. Les chuchotements d’Ambroise lui donnent l’impression de provenir de sa propre gorge.
« Notre Terre s’efface… La porte vers le ciel s’ouvre… Nous allons changer de système solaire… C’est le moment : suivez-moi… »
La main de Jérémy, sur le bras d’Éloïse, se fait lointaine. Quant à Manue, elle avait déjà complètement disparu de son champ de vision avant que la jeune fille ne ferme les yeux. Pourtant, elle les sent tous les deux à ses côtés.
D’autres personnes sont là aussi. Qui ? Impossible de le savoir… Mais ils sont nombreux. Tous reliés à Ambroise.
Sont-ils tous en train de quitter la Terre ?
Éloïse voudrait ouvrir les yeux pour le vérifier, mais quelque chose l’en empêche. Ambroise a dit qu’il saurait si elle avait vraiment envie de partir et que ce serait la condition pour qu’elle puisse rejoindre Primaterra.
Et si le fait d’ouvrir les yeux était interprété comme une hésitation ?
Elle ne veut pas risquer de rester en arrière. De disparaître avec son ancien monde.
Tout à coup, la main de Jérémy se crispe sur son bras. Un cri d’étonnement résonne dans ses oreilles.
Ses yeux s’ouvrent d’eux-mêmes.
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