Les 15 derniers jours (4)

Cette histoire a commencé ici.

Rayons de livres

« Merde ! »

Samedi 8 décembre. Éloïse se réveille en sursaut, tremblante. Sur sa rétine, l’image inversée d’un grand type noir au sourire étincelant s’incruste.

Ambroise l’a poursuivie toute la nuit. Dans ses rêves comme dans ses périodes d’insomnie. Elle se sent comme électrisée, haletante. Et franchement agacée : aucun mec ne lui a jamais fait un effet pareil.

« Manquerait plus que je tombe amoureuse… » grommelle-t-elle en envoyant promener sa couette.

Devant le miroir de sa salle de bains, les yeux rivés sur son reflet, elle dresse un plan d’attaque. Aujourd’hui, samedi, la fac va être vide. Pas la bibliothèque. Il n’y a pas plus ringard comme endroit et toutes ces tonnes de papier entassées là lui donnent envie d’expulser son petit-déjeuner chaque fois qu’elle y met les pieds, mais elle y trouvera sûrement du monde. Et un début de piste.

Pour mieux dompter son estomac, la jeune fille décide de ne rien avaler. En plus, cela lui fera gagner du temps. Elle en oublie même de regarder le saint du jour. Dans sa tête, les mots de Manue résonnent : « tout reste à inventer ».

Dans la rue, Éloïse ne joue pas avec le soleil : aujourd’hui, il s’est absenté. L’image d’un message publicitaire défilant en boucle sur le ciel gris « en congés jusqu’à nouvel ordre… » lui vole un sourire qui disparaît aussitôt : si le soleil n’est pas là pour la distraire, c’est qu’elle a mieux à faire.

 

Ralentissant le pas, elle se met à scruter méthodiquement toutes les silhouettes qui l’entourent. Ambroise est là, quelque part ; elle doit le trouver.

Dans le métro, elle lance une recherche sur Twitter avec ce simple mot-clé : Ambroise. Son tweet de la veille au soir apparaît, unique résultat, aussi étincelant qu’un sourire extra-large : Ambroise, où es-tu ?

« Ce n’est pas lady Gaga ou Justin Bieber, mais quand même : je m’attendais à plus de résultats…

— Vous dîtes ? interroge d’une petite voix aigüe la vieille dame assise à ses côtés.

— Rien. Rendors-toi, mamie ! »

Un violent coup de coude dans les côtes lui fait soudain tourner la tête. Sa voisine n’a pas l’air de plaisanter.

« Excusez-moi, bredouille la jeune fille en rougissant, je suis un peu énervée.

— Vous êtes surtout très mal élevée, Mademoiselle ! À moins que… C’est votre petit ami qui vous fait des misères ? »

Éloïse ne peut s’empêcher de sourire.

« Disons qu’il joue à cache-cache avec moi. »

La vieille dame sourit à son tour, en hochant la tête.

« Ils sont comme cela. C’est leur façon de voir qui vous êtes vraiment. »

Drôle de vieille dame, décidément ! Éloïse essaye toujours de trouver un sens à cette phrase sibylline quand un tweet s’affiche sur l’écran de son smartphone.

#21dec rendez-vous à la bibliothèque de la fac

Comment disait Manue, déjà ? « Il n’y a pas de coïncidences ! Juste des signes, qu’il faut savoir reconnaître et interpréter. » Si ce n’est pas un signe, ça…

Un rendez-vous à la bibliothèque, justement pour parler du 21 décembre, alors qu’elle s’y rend pour la première fois depuis des lustres et que les messagers détestent le papier, trop lent et trop lourd à leurs yeux, si ce n’est pas un signe, c’est un canard ! Bon, l’expression n’est peut-être pas la plus heureuse qui soit, mais il n’en reste pas moins que c’est… troublant.

 

Comme prévu, les couloirs de la fac sont obstrués par le vide. Quelle idée d’avoir mis ces bottes… Leurs claquements qui giflent le silence avec la régularité d’un métronome lui donnent envie de sautiller : au moins, cela casserait le rythme. Mais bientôt une espèce de brouhaha informe lui fait dresser l’oreille.

Le bruit vient de la bibliothèque.

Manue est là, debout sur une table, au beau milieu de ce qui est en temps normal une salle de lecture. Tout autour d’elle, une foule bigarrée, enthousiaste et caquetante, emplit la pièce de vibrations qui vous chatouillent l’épiderme.

Les messagers ont pris possession de l’ancien monde.

« La fin du monde est une bonne nouvelle », commence Manue.

Comme la veille, d’une seule phrase, elle a fait taire tout le monde. Il n’y a plus aucun bruit dans la bibliothèque. Les vibrations, elles, ont redoublé de vigueur.

« La fin du monde est une bonne nouvelle parce que c’est de la fin de CE monde qu’il s’agit. »

En parlant, Manue a embrassé la pièce de ses deux bras. Caressé les immenses rayonnages remplis de cellulose.

« Ce monde vétuste, qui comme l’empire maya, va s’effondrer. »

En attendant, c’est Éloïse qui n’est pas loin de s’effondrer sur elle-même lorsqu’elle avise, derrière Manue, un grand type couleur d’ébène. Ambroise.

À suivre

 

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8 réflexions au sujet de « Les 15 derniers jours (4) »

    1. Bonjour Jean-Philippe,

      Alors, comment dire… C’est ce que je voulais au départ. Mais comme tu n’es pas le seul à prendre parfois (tu notes que j’ai précisé parfois) du retard, cela ne pourra pas être possible…
      Par contre, pour les gens pressés, elle sortira sur Kindle avant le 21 😉

      Florence

  1. Je vais aller dormir avec des visions apocalyptiques derrière la rétine.

    J’ai lu tous tes articles d’une traite.

    Petite maline, va !

    Si c’est la fin du monde le 21, ce sera de TA FAUTE.

    Après tout, même le pape vient de nous annoncer que le calendrier est décalé de 6 à 7 ans dans son nouveau livre sur l’Enfance de Jésus.

    Alors, les Mayas peuvent aller se rhabiller !!!
    MarieBo Articles récents..Guide de Survie – Ebook GratuitMy Profile

    1. Bonjour MarieBo,

      Je te trouve bien gonflée de poser tout le poids de l’avenir du monde sur mes épaules… Pas étonnant, avec un fardeau pareil, que je sois si petite 😀
      Avoue quand même que cela aurait été dommage de ne pas profiter de l’occasion pour faire travailler son imagination 😉
      Sinon, j’espère que tu vas passer une bonne nuit !

      Florence

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