Quand on est biographe, on entre dans l’intimité des gens. C’est inévitable.
Tout aussi inévitable est le fait de s’attacher à eux. Au moins un peu. Parfois beaucoup…
Madame E. me rappelle terriblement ma mère, qui est morte l’année dernière. Pourtant, elle ne lui ressemble guère, ni physiquement ni de caractère. C’est autre chose.
Peut-être sa façon tellement pudique et sincère d’évoquer le drame de sa vie : la perte de son mari après cinquante-huit ans de vie commune. Ma mère avait adopté le même ton neutre et mesuré pour me raconter sa propre déchirure : la mort de son frère aîné à l’âge de vingt ans.
Toutes les deux sont restées droites et dignes. Leur douleur n’en était pas moins palpable. Autant que leur volonté manifeste de ne pas se laisser aller. Alors oui, Madame E. m’a touchée. Beaucoup.
Quand je reçois ses livres, je suis heureuse pour elle : elle les attend avec impatience. Mais pour moi, cela signifie surtout que nous n’allons plus nous voir et j’avoue qu’elle va me manquer.
J’aurais pu lui envoyer les livres par la poste : il m’arrive de le faire, notamment lorsque mes clients habitent loin ; j’ai préféré les lui amener. Pour voir l’éclat dans ses yeux au moment de les déballer. Pour la voir encore une fois.
« C’est parfait ! me dit-elle. Je suis très heureuse de notre collaboration. Vraiment. C’est dommage que nous n’ayons plus l’occasion de nous voir… »
S’éclipsant quelques secondes dans la pièce voisine, elle en revient avec une composition de plantes vertes joliment emballée.
« C’est pour vous. Pour vous remercier. »
Alors que je commence à avoir du mal à cacher mon émotion, elle ajoute :
« Il faudra me laisser votre carte. J’ai parlé de notre travail autour de moi et il y a un monsieur du village… Ses enfants voudraient lui offrir la même chose. »
Et c’est elle qui me remercie !
En quittant Madame E., j’ai le sourire : maintenant, je sais que j’aurai l’occasion de la revoir 🙂
Beau texte sensible et sincère. C’est aussi pour ces moments-là que l’on fait ce métier !
Bonjour Patricia,
Merci pour ton commentaire 🙂
Tu as tout à fait raison : c’est aussi (surtout ?) pour ces moments-là que l’on fait ce métier ! En toute humanité 🙂
Florence