Le Vieux qui lisait dans le sable (1)

Le Vieux qui lisait dans le sable est l’une des onze nouvelles qui composent Fragments de Sud.

Au Burkina Faso
La traversée du Niger, depuis les quelques maisons perdues dans le sable d’Assamakka jusqu’aux rues grouillantes de vie de Niamey, la capitale, m’ont peu à peu permis de faire connaissance avec l’Afrique Noire. Le baptême du feu, à Arlit, avait pourtant été violent. Après les immensités solitaires du Sahara, l’arrivée dans cette petite ville s’était apparentée à une paire de gifles. Du bruit, des couleurs, de la musique, des rires… Des grappes d’enfants qui se suspendaient à nos pas… Le changement avait été trop radical. Mais petit à petit, j’avais apprivoisé cette exubérance. Et la nuit africaine, chaude et toujours pleine de vie, m’avait définitivement conquise.

En entrant au Burkina Faso, nous avons fait une pause à Kantchari. De là, une piste improbable court en direction du nord-est jusqu’à frôler la frontière, à Dubiti. Peu de véhicules l’empruntent. Tout au plus un 4×4 ou un camion de temps en temps. C’est à peine plus qu’un chemin sinueux tracé dans la savane. Une piste sablonneuse au milieu de l’herbe sèche. Peu d’arbres alentours, hormis quelques baobabs tendant vers le feu du ciel leurs branches aux allures de racines. Il y a comme un arrière-goût de désert dans ce paysage-là.

De loin en loin, une concession vient pourtant rappeler que la région n’est pas inhabitée. Toutes rondes, elles se ressemblent comme des gouttes d’eau. Chacune se compose de plusieurs cases – rondes, elles aussi – au toit pointu, disséminées comme au hasard dans un espace délimité par un muret de torchis. Aucune porte nulle part : toutes les cases donnent sur la cour. Quant à l’ouverture dans le muret qui permet d’accéder à l’intérieur de la concession, elle n’est fermée à la nuit venue que par quelques branches d’épineux qui empêchent le bétail – des chèvres faméliques – de s’éloigner des habitations.

 

Tôt le matin, les concessions sont pleines d’animation. Le bêlement des chèvres se mêle aux cris des enfants. Les femmes s’activent à piler le mil dans les mortiers. Mais en ce début d’après-midi, tous semblent assoupis. Comme écrasés par la chaleur. Rendus muets par le poids des rayons solaires.

Dans un tel environnement, le bruit du moteur résonne comme une agression. Il n’a tout simplement pas sa place. Nous décidons donc d’immobiliser la voiture sur une esplanade de poussière, à quelques mètres de la route. Alentours, quelques concessions silencieuses semblent nous remercier d’avoir mis fin à ce vacarme. La sérénité millénaire de la savane nous entoure, accueillante et protectrice. Il est temps de faire la sieste…

 

Lorsque nous nous réveillons, une nuée d’enfants entoure la voiture. Leurs grands yeux noirs nous dévisagent et des éclats de rire sonores ne tardent pas à s’échapper de leur gorge.

— Toubabou ! Toubabou !

Des filles se sont mises à danser en frappant dans leurs mains, comme si nos paupières levées avaient donné le signal d’une fête. Un garçonnet me regarde fixement, comme tétanisé. Je lui souris : ses yeux s’écarquillent. Un autre le pousse vers moi en riant. Le petit ne veut pas ; il tente de reculer. Mais rien à faire : il est porté par le groupe. Je m’accroupis à sa hauteur et tente un « bonjour ! » rieur. Pas de réponse. Les autres semblent pourtant l’encourager. Dans leurs exclamations, le mot toubabou revient sans cesse.

De l’autre côté de la voiture, le niveau sonore est encore monté d’un cran : les enfants font cercle autour de Rémi en le montrant du doigt. Comme nous échangeons un clin d’œil, je sens une petite main légère se poser sur ma tête : c’est le petit garçon intimidé. Je l’ai lâché du regard : cela a suffi pour qu’il prenne enfin confiance.

Plus tard, un jeune homme nous expliquera les raisons de l’étonnement des enfants : les cheveux longs de Rémi – du jamais vu sur un homme ! – et les miens, jaunis par le soleil, d’une couleur à tout le moins surnaturelle…

 

Portés par le groupe, nous nous dirigeons vers l’une des concessions. En cette fin d’après-midi, la vie y reprend tranquillement son cours. Les femmes s’activent autour du foyer. Les hommes palabrent à l’ombre d’un grand arbre. Les enfants les plus jeunes – qui ne nous ont pas rejoints à la voiture – jouent dans la poussière.

À notre arrivée, l’un des hommes se lève pour nous accueillir. Encore jeune, il est habillé à l’européenne et coiffé d’une casquette qui ne dépareillerait pas dans nos campagnes françaises. Manifestement, c’est le chef de la maisonnée. Il nous invite à nous asseoir à ses côtés. Son sourire de bienvenue découvre largement des dents taillées en pointe, selon la tradition locale de l’ethnie gourmantché.

— Vous devez avoir soif, dit-il simplement.

Pas le temps de répondre que déjà une jeune fille s’approche. Torse nu, un pagne multicolore autour de la taille, elle avance, les yeux baissés. Se plie en deux pour balayer le sol à nos pieds et dépose deux verres. Derrière elle apparaît alors un jeune garçon. Il lui tend un bidon en plastique rempli de bière de mil. La jeune fille se plie de nouveau en deux, nous révélant le dessin compliqué des nattes tressées sur sa tête, et remplit nos verres. Puis elle disparaît.

D’un sourire, l’homme nous encourage à boire.

— Et vous ? s’étonne Rémi. Vous ne buvez pas ?

L’homme secoue la tête.

— Plus tard.

— Nous n’allons pas boire seuls !

L’homme sourit de nouveau. S’incline légèrement et lance quelques mots à son voisin. Bientôt, la jeune fille est de retour avec un troisième verre déjà rempli qu’elle tend à notre hôte. Celui-ci se tourne alors vers nous.

— À votre santé ! comme on dit chez vous.

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Le Vieux qui lisait dans le sable est l’une des onze nouvelles qui composent le recueil Fragments de Sud.
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P.-S. : Fragments de Sud existe aussi en papier. Achetez-le sur mon site d’auteur.

6 réflexions au sujet de « Le Vieux qui lisait dans le sable (1) »

    1. Merci 🙂 C’en est aussi une qui me touche de près… et qui aurait tout aussi bien pu faire partie de mon prochain recueil 😉
      Florence
      P.-S. : tu as vu, la zone de commentaires a grandi 🙂

    1. Je m’attendais bien à ce que tu pointes ce problème-là aussi 🙂
      C’est mon prochain challenge technique 😉

      Florence

    1. Merci à toi pour tes commentaires. J’attends aussi avec impatience la fin de « La conjugaison » !

      Florence

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