Cette histoire a commencé là : http://www.amotsdelies.com/blog/2011/06/elle-1/
Plusieurs semaines avaient passé.
Les premiers jours avaient été pénibles. Le regard que les gens posaient sur lui lui était insupportable. Comme s’il était lui-même atteint d’une maladie mortelle ! Il y avait une distance. Une sorte d’effroi dans les yeux qui le scrutaient. Le voile de la mort devait flotter sur lui. Cela faisait peur.
À trop vouloir l’éliminer ou la repousser, l’être humain est devenu allergique à la mort. Dès qu’elle s’approche un peu – si peu que ce soit – elle déclenche une réaction de défense.
Il avait fait comme s’il ne voyait rien, s’évertuant à agir comme avant. Surtout ne pas prêter flanc à la pitié. Mais « avant » était bien mort, lui aussi. Et « après » avait du mal à se mettre en place. Ses débuts étaient pour le moins chaotiques.
Il avait fallu plusieurs jours avant qu’on ne se hasarde à lui demander comment il allait. La question, si simple, si banale, l’avait pris au dépourvu. Incapable de répondre, il l’avait évacuée d’un haussement d’épaules. Personne n’avait insisté : il y a des choses que l’on n’aime pas entendre.
Une fois seul, il s’était posé la question : « ça va ? » mais il avait beau essayer d’y réfléchir le plus honnêtement du monde, il ne trouvait pas de réponse convaincante. Certes, il avait repris le travail, n’était pas malade, trouvait le sommeil sans trop de problème et mangeait avec appétit. Il lui arrivait même de rire. Quoique, la première fois, le son s’échappant de sa gorge lui ait semblé fichtrement incongru. Mais allait-il bien ?
Lorsqu’il était au volant de sa voiture, ses pensées défilant de manière automatique, comme les poteaux électriques au bord de la route, il ne voyait qu’elle.
Elle, la dernière fois qu’il l’avait vue, dans son fauteuil près de la fenêtre, lui faisant un signe léger de la main pour lui dire au revoir. Une image qu’il n’oublierait jamais, il en était convaincu.
Elle, assise à ses côtés le jour de Noël. Déjà un peu absente.
Elle, dans son écrin de tissu beige, l’air paisible.
Elle, lui confiant des souvenirs dont elle voulait qu’il ne parle à personne.
Elle, floue et lointaine, derrière le rideau de ses larmes…
Il en était venu à redouter les trajets en voiture.
Et puis, parfois, le soir – ou pire : au beau milieu de la nuit – cette sensation de tomber dans le vide. De glisser sur un toboggan interminable. De ne rien trouver auquel se raccrocher. Aucune prise, aucun secours. Juste cette impression de chute. Pas du désespoir, non, mais tellement de détresse. De ne pas savoir jusqu’où il allait couler. Cela s’arrêterait-il un jour ? Retrouverait-il au-dedans la sérénité qu’il affichait au dehors ? La peur, parfois, s’insinuait en lui. Peur de perdre ses repères. De perdre l’esprit.
Est-ce que le fou se rend compte qu’il devient fou ?
— Elle est morte !
Une envie de crier, parfois. L’envie de parler d’elle, de la raconter, de la faire revivre… Ou au contraire de ne surtout pas parler d’elle, pour oublier qu’elle n’est plus là.
Une tempête à l’intérieur.
La solitude absolue.
Comment expliquer, partager ? Les autres, à ses côtés, vivaient dans un autre monde.
Elle lui manquait tellement !
Rien, jamais, ne serait plus comme avant. Et qu’après aille se faire voir…
Elle est l’une des neuf nouvelles qui composent le recueil Circa mortem. La plus courte d’entre elles. Celle dans laquelle la mort est le plus présente.
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P.-S. : Circa mortem existe aussi en papier. Achetez-le sur mon site d’auteur.