Cette histoire a commencé là : http://www.amotsdelies.com/blog/2011/06/elle-1/
C’était comme à la chambre funéraire. Ce visage lisse et froid, aux yeux fermés… Elle, et en même temps quelqu’un d’autre. Ou plutôt quelque chose d’autre. Une enveloppe vide.
Le premier jour, il n’avait pas osé la toucher. Les mains au fond des poches, crispé, il était resté là, debout, à la dévorer du regard. Comme pour être sûr de ne jamais l’oublier. Graver son image à jamais sur ses rétines, au fond de ses yeux gonflés et rougis par les larmes. Il était comme tétanisé. Cloué au sol. Incapable de faire le moindre mouvement. Ou de la quitter des yeux.
Le temps passé dans cette pièce lui avait semblé court. Et interminable. Il avait fini par fuir, sans se retourner.
Le lendemain, pourtant, il était revenu. Attiré par il ne savait quoi. Une curiosité morbide, peut-être… Il l’avait prise en photo, subrepticement, comme un voleur. Ou un amoureux éconduit. Et puis il s’était approché. S’était mis à lui parler. Doucement. On aurait dit qu’elle souriait.
Sa main était sortie de sa poche sans qu’il s’en rende compte. S’était posée sur les siennes, qu’on lui avait croisées sur la poitrine. La froideur de ses doigts l’avait un peu surpris. Comme un rappel de l’évidence :
— Elle est morte.
Mais ce premier instant passé, il avait eu plaisir à caresser sa peau, encore douce. Avant de la quitter, il l’avait même embrassée sur le front. Cette fois, il n’avait pas fui, s’attardant longuement à la porte, la main sur la poignée, avant de s’éloigner sur la pointe des pieds, comme pour ne pas la réveiller.
À ce souvenir, une ombre de sourire parcourut ses lèvres. Le reflet dans la glace lui redevint alors familier. Une minuscule impulsion de vie avait suffi.
Le jour suivant, il était encore venu à la chambre funéraire. Cette fois, il était entré d’un pas léger. Comme chez un ami qu’on prend plaisir à retrouver. Il n’était pas resté longtemps – quelques minutes, à peine – mais cela avait suffi à le remplir d’elle encore une fois.
Il avait fini par redouter le jour de l’enterrement : il marquerait la fin de ses rendez-vous avec elle. Elle ne serait plus là. Définitivement.
Pourtant, ce jour-là, à sa grande surprise, lorsqu’il était entré pour la voir une dernière fois, il avait senti que c’était ce qu’il fallait. Ses visites avaient suffisamment duré. Il était temps que tout cela s’arrête. Sous ses yeux à elle, une ombre bleue voilait la peau : elle n’aurait pas aimé qu’il la voie comme ça.
Alors qu’auparavant il s’était juré d’assister à la fermeture du cercueil et de ne surtout pas cligner des yeux pour ne rien perdre de cet instant, il avait finalement attendu à l’extérieur. Une intuition lui avait commandé de ne pas entrer. Il n’avait pas cherché à comprendre, ne s’était même pas demandé pourquoi ses jambes restaient figées. C’était juste une évidence.
— Elle est morte.
Elle est l’une des neuf nouvelles qui composent le recueil Circa mortem. La plus courte d’entre elles. Celle dans laquelle la mort est le plus présente.
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