Sa silhouette mince et fragile traverse le marché à petits pas. Une veste fourrée consciencieusement boutonnée jusqu’au menton malgré la douceur de l’été, il paraît si frêle… Ses yeux bleu clair embués brillent derrière ses lunettes. Il a l’air d’un enfant perdu et c’est d’abord avec la douceur d’une grande soeur compatissante que j’ai envie de m’adresser à lui. Puis je me souviens…
Cet homme, je l’ai déjà rencontré. Dans une autre vie. D’autres circonstances, plutôt. Nous avons discuté. Il m’a brièvement raconté. Sa découverte du Maroc au début des années 1950. Le coup de foudre pour ce pays ensoleillé où il avait aussitôt entraîné sa jeune épouse. La naissance de ses deux fils. Puis le retour en France après l’indépendance. Sa longue carrière de directeur de musée en région parisienne. Et finalement cet exil vers une campagne inconnue.
Nos regards se croisent, mais je vois bien à sa surprise devant mon salut enjoué qu’il ne me reconnaît pas. Tout juste opine-t-il du chef, poursuivant son chemin du même pas incertain que la vieillesse lui impose.
Je le suis longtemps des yeux…
Au-delà des apparences – cette enveloppe charnelle diminuée – surtout, ne pas oublier qu’il a été un jour maître d’un destin hors normes. Conserver le respect dû à l’adulte qu’il fut et lui tendre le bras pour accompagner ses derniers pas.
Apprivoiser le grand âge n’est pas toujours chose facile, même pour les biographes !
Mourir, la belle affaire ! Mais vieillir… [Jacques Brel]