Hier, il a fait très chaud. Toute la journée. Trop chaud pour mettre le nez dehors. Il n’y a guère qu’en début de soirée – vers les 21 h – que j’ai eu le courage d’aller marcher un peu sur la plage.
À cette saison, c’est un pur plaisir. Il n’y a pas encore grand-monde – on peut même aller jusqu’à dire qu’il n’y a personne ! – et comme les vacances débutent, la plage est encore propre.
C’est sûrement pour ça que cette bouteille a attiré mon regard.
Elle n’était pas tellement visible, pourtant, enfouie dans le sable presque jusqu’au goulot. Une bouteille en verre, toute bête, apparemment sans étiquette, fermée d’un bouchon en liège. Le genre qui ne se fait plus.
J’ai hésité avant de l’arracher au sable mouillé : c’est drôle, j’avais l’impression de commettre un sacrilège. On m’aurait demandé d’ouvrir une tombe que ça ne m’aurait pas fait un autre effet !
Finalement, j’ai saisi le goulot et j’ai tiré. La bouteille était plus longue que je ne l’aurais cru ; elle est venue difficilement, puis s’est libérée de son fourreau dans un bruit de succion grotesque.
C’était manifestement une bouteille ancienne, au verre épais, un peu bleuâtre, avec une forme de trèfle en relief à mi-hauteur. Un objet étrange.
Mais le plus étrange, c’était ce qu’il y avait dedans…
J’ai encore hésité avant de l’ouvrir. Je voyais bien qu’il y avait quelque chose dedans, mais ça semblait tellement… c’était un tel cliché, la bouteille jetée à la mer… pour un peu, je me serais pincé pour vérifier que je n’étais pas en train de rêver ! Et puis, qui me disait que le bouchon n’allait pas se casser net ? Un truc en liège, comme ça, qui avait séjourné Dieu sait combien de temps dans l’eau de mer…
Avant de me décider, j’ai eu un drôle de réflexe : j’ai regardé tout autour de moi pour vérifier que personne ne pouvait me voir… Mais non, la plage était vide, la mer aussi. Le soleil était couché, il n’y avait pas un nuage. Rien. Rien qu’une mouette qui m’a lancé son cri, aigu et rauque à la fois, en passant près de moi.
Le bouchon était plus solide que je ne l’aurais cru au départ et il est venu facilement. Je l’ai posé par terre, à mes pieds, et j’ai retourné la bouteille.
L’extrémité d’une espèce de collier est apparue. J’ai tiré doucement dessus : en fait, il s’agissait d’un chapelet. Des perles couleur ivoire, une petite croix… le même que celui de ma grand-mère ! Toute sa vie, elle l’avait eu fixé au mur, au-dessus de son lit.
De nouveau, j’ai retourné la bouteille. Un mince rouleau de papier fermé par un ruban est tombé dans ma main. Alors j’ai posé la bouteille et défait le ruban.
J’ai eu un peu de mal à dérouler le papier – il devait être emprisonné ainsi depuis longtemps – mais j’y suis quand même arrivé. Et j’ai lu.
« Manier savamment une langue, c’est pratiquer une espèce de sorcellerie évocatoire. »
L’écriture était ancienne, avec des pleins et des déliés bien formés. Aucune signature. Rien d’autre.
J’ai retourné le papier : rien de l’autre côté.
N’y comprenant rien – mais y avait-il vraiment quelque chose à comprendre ? – j’ai posé le papier près du ruban et du chapelet et j’ai repris la bouteille. Il y avait encore quelque chose au fond.
Cette fois, ce sont des allumettes qui sont tombées dans ma main. Trois, très exactement.
Trois allumettes, un morceau de papier enrubanné et un chapelet…
Ils étaient là, dans ma main, et je n’avais pas encore eu le temps de me demander vraiment ce que j’allais en faire quand l’une des allumettes a pris feu. Comme ça, toute seule. Évidemment, les autres ont suivi. Le papier aussi.
Le temps que je réagisse, il ne restait plus à mes pieds que trois bouts de bois carbonisés, un lambeau de papier et un chapelet noirci.
Quand la mouette repassa en criant au-dessus de moi, j’eus la nette impression qu’elle se moquait de moi.
Sur le lambeau de papier, il restait un seul mot : sorcellerie.