Cette histoire a commencé ici.

On en parle depuis quelques années, déjà. La date aurait été fixée par les Mayas, suite à de savants calculs. Un film a même été tourné sur le sujet et a grandement contribué à populariser la chose.

Au début, cela faisait sourire. Et puis, au fur et à mesure que la date se rapproche, l’hystérie envahit les foules. À l’université, il n’y a pratiquement plus de cours. À quoi bon étudier si tout doit s’arrêter dans deux semaines ? Autant profiter du temps qui reste et s’amuser !

@loïs t’es là ?

Un nouveau tweet vient d’arriver. C’est Manue, une drôle de fille un peu déjantée, inscrite en deuxième année de psycho, qu’Éloïse a décidé de suivre un jour d’ennui, parce que son humour décalé la faisait rire.

Depuis, elles ne se lâchent plus…

Tout les sépare. Les deux jeunes filles sont malgré tout devenues amies. Mais Éloïse n’a aucune envie de se lancer dans l’un de ces dialogues sans queue ni tête dont Manue a le secret. Elle décide de la faire courte :

@manue yep

Intérieurement, elle se maudit d’être incapable de ne pas répondre. Ce serait pourtant simple : Manue n’a aucun moyen de savoir qu’elle est connectée tant qu’elle n’a rien posté. Il suffirait de faire le mort. Mais c’est plus fort qu’elle : Éloïse est trop honnête pour faire semblant. Encore un héritage de sa grand-mère.

@loïs on se retrouve à l’amphi B

Manifestement, ce n’est pas une question. Éloïse ne s’en étonne pas. Manue fait partie des messagers, un groupe de gens qui sont persuadés que la fin du monde va vraiment avoir lieu et qui se sentent investis d’une mission sacrée : guider le monde entier.

Ils se sont multipliés parmi les étudiants au mois de novembre et ont commencé à « répandre la bonne parole »… Depuis quelques jours, ils passent à la vitesse supérieure. Il faut dire qu’ils attirent de plus en plus de monde.

En tout cas, s’il y a un meeting à l’amphi B, Manue ne peut pas être ailleurs.

« Bah, après tout, pourquoi pas ? Ça pourrait même être intéressant, qui sait ? »

@manue j’y serai

 

Une demi-heure avant l’heure prévue pour le meeting, l’amphi B est déjà quasiment plein. Depuis la porte principale, tout en bas, Éloïse repère quand même une place au troisième rang. Grimpant les marches deux par deux, elle s’y faufile sans attendre et s’assied.

« Vous arrivez juste à temps ; ça va commencer ! »

C’est son voisin de droite. Se tournant vers lui, Éloïse se heurte d’abord à un sourire d’une blancheur étincelante, serti dans un écrin de peau noire. Muette, elle se laisse transpercer par un regard moqueur.

« Je vous ai fait peur ? Ce n’était pas mon intention… Mais permettez-moi de me présenter : je m’appelle Ambroise. »

La jeune fille ne peut s’empêcher de bafouiller.

« Am… Ambroise ?

— Oui. Comme l’évêque de Milan qui a été sanctifié. Vous connaissez peut-être ?

— Oui. Enfin, non. Mais c’est la saint Ambroise aujourd’hui. Alors j’ai justement cherché ce matin de qui il s’agissait. »

Le jeune homme éclate d’un rire sonore.

« Eh bien, vous voyez : c’est de moi qu’il s’agit ! »

Au pied de l’amphi, un groupe de messagers est en train de s’installer. Ils font des essais micro, s’interpellent, font de grands signes en direction des derniers rangs : manifestement, le système de retransmission a des ratés.

 

Soudain, la voix de Manue s’élève, forte et claire.

« Mes amis, dans deux semaines, notre monde n’existera plus. »

En une phrase, elle a réussi à faire taire tout le monde.

Savourant son effet, elle balaye l’assistance d’un regard grave, semblant se délecter du silence qui s’est déposé sur la foule. Les secondes défilent. L’air se charge d’électricité. Alors qu’Éloïse se sent prête à sortir en courant du bâtiment, un sourire étire doucement les lèvres de Manue.

« Notre monde n’existera plus, mais ce n’est pas la fin pour autant. Tout reste à inventer. Ces deux semaines vont être un condensé d’humanité. Nous, les messagers, n’avons pas dit notre dernier mot. La vie va continuer ! »

Des acclamations ponctuent cette tirade. Malgré elle, Éloïse se sent emplie de l’énergie de la foule. Alors qu’elle n’est venue que par curiosité ou pour faire plaisir à Manue, elle se sent prête, à son tour, à évangéliser les foules. Enthousiaste, elle se tourne vers son voisin de droite… mais le siège est vide.

Interloquée, Éloïse observe la foule, tout autour d’elle. Aucune peau foncée dans l’assistance. Où est passé Ambroise ?

« Je n’ai pas rêvé, pourtant, murmure la jeune fille. Il était là il y a deux secondes, juste à côté de moi. Il n’a pas pu se volatiliser, quand même ! »

Devenue indifférente à ce qui se passe autour d’elle, Éloïse agrippe le jeune homme qui se trouve de l’autre côté du siège vide. Elle doit crier pour se faire entendre.

« Eh ! Il est passé où, le gars qui était là ?

— Quel gars ? s’étonne l’autre.

— Un black.

— Un black ? Mais t’es timbrée, ma pauvre fille… Il n’y a jamais eu personne, ici ! »

À suivre…

 

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